Clip officiel réalisé par Antoine Campo
Pour le 30ème anniversaire de la disparition du compositeur, sortie discographique de son œuvre intégrale pour guitare en double CD. Label Skarbo, référence DSK1220. Sortie numérique le 11 novembre 2022 et physique le 18 novembre. Un film produit par Antoine Campo & La Manufacture. Avec le concours des Amis de Maurice Ohana, Monogramme Paris et du label Skarbo.
Maurice Ohana a reçu le Prix Italia, le Prix national de Musique, le Prix Honegger, le Prix musical de la Ville de Paris et le Prix Maurice Ravel.. Il fut lauréat du Grand Prix de Musique Guerlain de l’Académie des Beaux-Arts. Il reçut le Prix de la SACEM pour la meilleure première exécution. Président de l’Académie internationale Maurice Ravel, il était par ailleurs Chevalier de la Légion d’Honneur et Commandeur des Arts et Lettres.
INTERVIEW ANTOINE CAMPO PAR CORINNE MONCEAU "LES AMIS DE MAURICE OHANA" !
Antoine Campo, vous venez de réaliser un clip de création sur Maurice Ohana, à l’occasion du trentième anniversaire de sa disparition : « Ohana Memoria ». On peut voir ce film court depuis le 10 mars dernier sur You Tube. Réaliser ce clip a été, je crois pour vous très important, du fait que vous avez connu le compositeur et que cela a une résonance toute particulière pour vous. Vous aviez rencontré Maurice Ohana lorsqu’il vous avait demandé de mettre en scène son opéra : « Le Mariage sous la mer ». Pourriez-vous nous parler de votre rencontre ?
Ce fut sans conteste une rencontre déterminante pour le jeune metteur en scène que j’étais à l’époque : la chance d’approcher cette personnalité originale, fougueuse, inventive, Maurice Ohana vénéré par tous les musiciens, je peux en témoigner, et déjà figure majeure de la musique contemporaine. Je venais donc de faire une mise en scène remarquée de « Didon et Énée » de Purcell ce qui m’ amena à rencontrer personnellement Maurice Ohana.
Rendez-vous fut pris dans son appartement parisien pour un projet d’opéra contemporain subventionné par le Ministère de la culture et la SACEM. La porte s’ouvre, j’entrevois le piano hiératique, déjà le courant passe. Le musicien déploie la grande partition du « Mariage sous la mer » et me lance, pointant les premières mesures : « Et alors, cette ouverture ? ». « Eh bien ! Ça va commencer par un violent combat de deux bandes rivales d’adolescents, dans un univers à la Fellini, un bord de mer hostile, une jeunesse pauvre et désœuvrée, des solitudes juxtaposées. Une ouverture choc ! ». Je lui parle, avec passion, de mon projet de mise en scène du « Mariage sous la mer », de ma vision concernant son œuvre lyrique bouleversant la gamme diatonique, renouvelant l’écriture vocale avec cette énergie ancrée dans les forces de la mer, des arbres et du vent. Je propose au compositeur de situer le décor de l’opéra sur un front de mer tourmenté et de faire construire une immense digue de béton pour les chœurs, avec des tunnels circulaires souterrains où le héros pourrait circuler à vélo et les solistes apparaître et disparaître de façon quasi magique. En fond de scène, une immense toile en forme d’ex-voto représenterait les protagonistes dans un paysage sauvage, mystique. Une mise en abîme. Ohana était aux anges. J’avais son consentement et je quittais la rue du Général Delestraint en éclatant de joie. C’était en 1989 et Camilo José Cela, auteur du livret, était couronné cette année-même du Prix Nobel de littérature. Un joli cadeau.
Cette production du Conservatoire National de Région de Boulogne-Billancourt fut reprise pour cause de succès sur la Scène Nationale de Melun-Sénart et saluée par la presse. Cet opéra honoré du Prix Italia raconte l’histoire d’un jeune poète qui rêve de fuir un monde étriqué de conventions et d’interdits. Avec l’ apothéose d’un mariage enchanté dans les fonds marins avec une Sirène : « un océan de bonheur » dit le livret. Cette rencontre avec Ohana, si riche d’enseignement, d’humanité et de générosité, orienta ma vie dans l’art : une leçon d’indépendance et de liberté. Sa mémoire ne m’a jamais quittée quand plus tard j’eus la chance de monter des compositeurs qu’il admirait comme Benjamin Britten ou Igor Stravinski. Quel bonheur alors – pour le 30ème anniversaire de sa disparition – de me replonger dans le tumulte joyeux et la puissance solaire de la musique de Maurice Ohana. Pour créer un film court, dans le langage actuel du clip, pour célébrer sa présence et sa musique.
Comment s’est déroulé concrètement le tournage ? Vous êtes allé, je crois, à Carnac sur les lieux même où Maurice Ohana possédait une maison au bord de l’eau (que l’on voit d’ailleurs à plusieurs reprises dans le clip) et où il venait régulièrement se ressourcer et composer certaines œuvres. Ayant travaillé avec lui, vous avez appris à connaître sa personnalité, et entre autres, avez découvert son amour pour la nature et l’océan bretons, dont il devait vous entretenir parfois. Cela vous a-t-il aidé, dans le choix des lieux et des paysages qu’il affectionnait par exemple ?
Nos conversations parisiennes – autour d’un sobre verre de Sauternes – étaient bien éloignées du parisianisme. Notre vénération pour le poète Federico Garcia Lorca et l’œuvre de Shakespeare, nos origines méditerranéennes et disons-le, un certain refus du conformisme, étaient au centre de nos échanges. Je parlais peu, j’écoutais beaucoup. J’ai vite compris que ce « moderne archaïque » comme il se définissait lui-même cherchait à retranscrire par sa musique, la puissance tellurique des sons, la charge émotionnelle et immémoriale de la voix, visant la poétique d’un univers musical en fusion qui ait « l’air d’appartenir plus à la création du monde qu’à nos contrées civilisées » comme il l’affirmait. Je m’en suis souvenu lors de l’écriture du clip. Dès lors, la mythique Bretagne, source importante de son inspiration, devint évidente pour le tournage. Pour la réalisation du clip « Ohana Memoria », j’ai donc voulu naturellement retourner à cette source. Avec le privilège immense que la famille du musicien m’ouvre les portes de sa maison de Carnac, haut lieu de la préhistoire européenne avec ses mégalithes alignés qui fascinent toujours.
Tourner dans la maison de Carnac adossée à la mer, poser les caméras dans l’ univers intime où Ohana composa nombre de ses chef-d’œuvres, quelle émotion, quelle chance ! J’ai voulu saisir les paysages bretons qu’il affectionnait avec ce ciel en perpétuel mouvement et ces marées grandioses que le soleil module et nuance. D’ailleurs dans la belle biographie que lui consacra l’académicienne Edith Canat de Chizy, le compositeur se confiait en ces termes : « de ma maison bretonne située au bord de mer, j’observe le ciel et la mer qui me transmettent une sorte de leçon permanente, un enseignement continue qui concerne autant la Musique que la Vie ». J’avais trouvé la tonalité du film conçu comme un poème visuel et musical. Ainsi naquit « Ohana Memoria ».
Comment s’est fait le choix de la musique qui accompagne le clip ? Vous avez choisi « Saturnal » pour guitare. Comment s’est fait votre sélection ?
Pour la commémoration de Maurice Ohana, j’ai simplement cherché à remettre dans la lumière une pièce emblématique du compositeur : « Saturnal ». L’œuvre pour guitare à dix cordes – créée à Rome – s’est imposée de par sa puissance expressive, son intensité rythmique, sa surface d’échos, de suspens, d’éclats qui mettent sous tension l’instrument singulier, en en décuplant l’ampleur chromatique et le pouvoir dramatique. Première partie du « Cadran Lunaire », « Saturnal » est une des partitions les plus célèbres de Ohana.
L’interprétation de haute volée d’Olivier Pelmoine en offre une version magistrale, sensible, technique et frémissante. La musicalité idéale pour accompagner les images de mon film : paysages sauvages, cieux tourmentés, simplicité d’un tendre jardin, maison de pierres burinées par les embruns, reflets des marées changeantes. Ce clip de création a été produit par La Manufacture avec le concours des Amis de Maurice Ohana. Et l’aimable autorisation des éditions Billaudot et du label Skarbo qui enregistre l’intégrale pour guitare de Maurice Ohana avec Olivier Pelmoine. Qu’ils en soient remerciés.