Les séduisantes actrices que vous voyez en "costume-maquillage" de scène sont Agathe et Laetitia. Elles jouent - merveilleusement - la version "culte" de Oh les Beaux Jours de Samuel Beckett que j'ai eu le plaisir de mettre en scène à Paris (Philomuses et Ange Magnétic Théâtre).
Adriana, merveilleuse actrice italienne vue au cinéma chez Visconti, Pasolini ou Buñuel, et au théâtre sous la direction de Giorgio Strehler, Luca Ronconi, Harold Pinter, rejoue actuellement et magnifiquement le monologue au Théâtre de l'Athénée, le plus beau théâtre de Paris. Rencontrer et parler théâtre ou cinéma avec Adriana, c'est reprendre des forces pour mille ans.
Les actrices sont des femmes exceptionnelles.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce texte de théâtre majeur, voici mon point de vue.
Oh Les Beaux Jours, ce titre est tiré du poème de Verlaine, colloque sentimental.
Colloque sentimental
Le poème vaut la peine qu’on s’y attarde. Ainsi dans fêtes galantes, Paul Verlaine écrit :
Ah ! Les beaux jours indicibles
Où nous joignions nos bouches ! – c’est possible
Qu’il était bleu, le ciel et grand l’espoir !
– L’espoir a fui vaincu vers le ciel noir
Tels ils marchaient dans les avoines folles
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
On pourrait intituler, pour blaguer, le poème « strangers in the night », si l’on n’était pas glacé de froid et d’effroi devant le gouffre invoqué. C’est ça, chez Beckett, la blague n’est risible que la première fois. La seconde fois sent non pas comme on dit le réchauffé, mais le rance, l’errance et l’air rance.
Nuit
Les aveux des deux fantômes d’amour s’adressent à une nuit dépourvue de transcendance. Le contraire de Marthe qui dans l’Échange de Claudel sent la présence du Créateur ; dans la nuit d’épreuve et de chagrin, une présence. Présence qui donne à la parole qui devient prière, un effet de sens. « Jamais entendu pareil silence » dit Krapp dans La Dernière bande. Chez Sam un silence de plomb comme vérrouillé sur lui-même. Notons que le Ah de dépit du poème est remplacé chez l’Irlandais par un Oh qui suppose l’émerveillement, même feint. Un monde fermé, clos, sans appel. Une parole dans le vide, manifestation infime du vivant.
Vide
Winnie vide son sac, brosse à dents, miroir, rouge à lèvres et surtout revolver : des objets, que des objets qui nous aide à tenir le coup de la douleur de vivre. Les objets derniers compagnons de l’esseulement. Témoins silencieux de notre précarité, au sens de est précaire celui qui n’a plus qu’à prier, la prière, unique recours pour ne pas sombrer dans la folie. Les deuxièmes parties chez Beckett : une répétition dégradée des premières parties, un écho délabré.
Phénix
Dans la merde jusqu’au cou, heureusement, il y a la possibilité du suicide, un échappatoire à l’engloutissement par le temps. Le temps est décompté, à rebours, comme avant notre départ dans le néant. Tirer sa journée ou se tirer une balle dans la tête, puisqu’on ne peut se tirer nulle part. Juste se terrer. Chaque jour un tas de cendres de soi. Et puis ça repart, pour un tour. On est condamné à renaître, sous peine de mort.
Moins
Tout nous est retiré petit à petit : la vue, la chevelure, la dentition puis la mobilité. Dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter. Chanter pour ne pas déchanter. « Heures exquises qui nous grisent », refrain de la Veuve Joyeuse. La vie, une opérette inopérante.
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