Résonance de montagne
Suzanne Obrecht vient d’exposer ses œuvres récentes à l’Espace Philomuses, rue des Grands Augustins, à Paris. Cet espace dédié aux arts est un très beau lieu dont l’exigence est la marque de fabrique. Comment s’en étonner, la pianiste Chantal Stigliani, haute interprète du répertoire de Bach, en est l’âme. Le mot n’est pas trop fort, il renvoie au principe vital, au souffle commun à l’homme, à l’animal, à la nature. Poursuivant une vie consacrée à l’art de peindre, Suzanne Obrecht peint inlassablement des montagnes.
Plus exactement la Montagne, espace d’inspiration, zone d’altitude, confins d’incertitude. Monts et merveilles de résonance.
Gravir le temps, surprendre l’éclaircie
Seule la foi soulève les montagnes. La foi en l’art d’Obrecht n’est pas profession mais acte de dévotion à la vie intérieure. Consentement vibrant. Suzanne Obrecht, vos "bleus" font chavirer d'é-bleu-issement ! Une déflagration de sentiments. La gamme chromatique frappe cependant par l’infiniment peu. Un choix drastique qui engage chaque geste – méticuleux – et le travail de pigments essentiels dont ce bleu qui porte son nom : Bleu Obrecht. Un bleu de haute altitude.
Alors je suis prise dans son mouvement ascensionnel, je respire plus haut (…). Heureuse sortie de moi. Belinda Cannone
Drama
Il y a quelque chose de dramatique dans la vision d’une chaîne montagneuse, la cime en est l’enjeu, l’accident, le possible - chute, avalanche, perdition -. Comme nos vies ascendantes. La théologie protestante (luthérienne) voyait d’ailleurs dans la montagne le résultat d’un déluge universel, une apocalypse figée bref un imposant sujet de frayeur.
Un appel à la plénitude
Or chez Obrecht, par la douceur du voir, par la parcimonie savante de la polychromie, par l’exactitude du mouvement, la montagne devient appel à la plénitude. À la paix plus qu’à la joie. Et l'on ne résiste plus, écrivant, à laisser jouer les mots, les merveilleux mots. Alors on couche sur le papier : "La montagne accouche d’un sourire".
Un nuage passe.
Une montagne d’émotion
« Je parle en mon nom propre – non pas pour parler précisément de moi – mais pour puiser en moi la force de la parole » écrit l’artiste.
J’oserais dire que Obrecht puise en elle la force de la… peinture. Car il y a un effet de puissance dans ces grandes toiles pulsées d’un geste si ample qu'il signe la technique aguerrie.
Un séisme apprivoisé.
Escalader le ciel
Ce travail sériel se hisse à l’universel par sa pudeur exacte, la métaphore en est exclue : « dans cette exposition, toutes les peintures ont atteint leur point d’autonomie », me confie-t-elle. L’artiste – je parle de Suzanne Obrecht – qui sait faire envol d’une montagne a affronté le mystère du temps. Transparent, insaisissable et profond comme un horizon.
Cette création nous pose ainsi un défi : elle invite tout spectateur à une ascension de soi qui serait voyage vers la douceur et la paix.
Une façon d’escalader non plus la montagne mais le ciel même.
©Antoine Campo - Metteur en scène, réalisateur et directeur artistique pour les éditions Lelivredart (Paris).
Les femmes créatrices se nomment dans leurs oeuvres. Chacune de mes toiles affirme : Je suis peintre, je suis femme, je suis." Suzanne Obrecht